jeudi 27 mars 2014

Les télénovelas, une nouvelle forme de colonisation

Les télénovelas sont des feuilletons quotidiens des pays hispanophones et lusophones qui relatent une histoire sous une forme romanesque. Elles sont aujourd’hui devenues quasi permanente sur les télévisions sénégalaises. Ibrahima MBAYE dit « Sopé », membre du Conseil national de Régulation de l’Audiovisuel (CNRA), artiste, comédien, réalisateur, nous décrypte la question.
Quelle appréhension avez-vous de la diffusion des télénovelas par les télévisions sénégalaises ?
‘’Les Télénovelas sont des produits importés. (Cherche les mots). Sur le plan artistique et culturel je déplore ces produits. Parce que ce sont des produits qui ne parlent pas de nos réalités. Car ils  viennent du Brésil, du Mexique, de l’Espagne, entre autres. Ces pays ne sont pas forcement obligés de suivre notre culture. Donc les télénovelas ne nous interpellent pas directement mais on n’est obligé de suivre ce qu’ils nous montrent. Je pense que ce sont des choses qui ne nous parlent pas. Je suis à la limite aussi complexé sur ça. Parce qu’autant ces produits ne nous parlent pas, autant nos mamans, femmes, sœurs les aiment. C’est ça qui est paradoxal en fait et c’est aussi inquiétant. Pour remédier à cela j’opterais pour une multiplication des produits nationaux à la place des Télénovelas.’’


Quels impacts peuvent-elles avoir sur la société sénégalaise ?
«  Au Sénégal, là où ça peut poser des problèmes, c’est dans l’influence culturelle. Cela, dans la mesure où la télévision est un médium de communication extrêmement important. Et elle a une influence capitale. Ce qui veut dire qu’on peut voir par exemple une fille qui joue un rôle dans les télénovelas et nos jeunes filles, nos sœurs s’identifient à sa façon de s’habiller, sa façon de se comporter. Souvent, c’est des personnages qui n’existent pas, qu’on a créés. Ah ! Elle a porté une telle robe… Donc elles sont tentées par cette influence extérieure qui forcément va agir sur leur vie de tous les jours.»
Est-ce une aliénation culturelle ?
« Il y’a des séquences ou des scènes où c’est un peu osé. C’est pourquoi on ne peut pas les voir avec des enfants. Finalement c’est des choses comme ça qu’on laisse passer qui sont entrain d’être une autre forme de colonisation. En fait administrativement ils ne nous gèrent pas mais ils veulent nous coloniser culturellement. Et ça c’est extrêmement dangereux. »
Comment trouvez-vous l’importation de ces films au lieu de produire localement?
« Ce que je déplore, c’est que nos télévisions mettent énormément de moyens pour s’en approprier.  Au lieu de financer une production de troupes théâtrales comme « Soleil levant », « Djankhène » de THIES, « Arcot » de Dakar, etc, ils se permettent d’aller acheter des télénovelas qui coutent des millions. Des sous qu’ils pouvaient investir ici. Parce qu’au Sénégal il y a de la qualité. Il y a des gens qui font de très belles choses avec de maigres moyens. Par exemple les téléfilms nationaux produits en collaboration avec la RTS et d’autres organes de production. »
Est-ce-qu’il y a une bonne organisation  des acteurs pour faire de bonnes productions ?
« En fait une production est lourde et très compliquée. Et s’il n’y a pas d’argent, ça pose problème.  Là, c’est un premier point. L’autre, c’est qu’il n’y a pas de télévision, actuellement, qui produit des téléréalités. La RTS actuellement va au fur et à mesure vers la facilité. Parce qu’il ne faisait auparavant que de la captation c’est-à-dire tout ce faisait en studio. Donc le coût était moindre, ils dépensaient de mois en moins. Ensuite ils ont changé parce qu’à un certain moment par exemple, ils peuvent financer pour un téléfilm de 3 à 5 millions à une troupe qui fait son téléfilm. Ensuite on était arrivé au moment où il n’y a pas une politique culturelle. Ce qui fait qu’il y’a eu beaucoup de trouble aux théâtres. »
N’y a-t-il pas une prolifération de produits non professionnels ?
« Les gens veulent apparaitre à la télé et ils viennent avec leurs produits. C'est-à-dire maintenant les gens s’autoproduisent et en s’autoproduisant, on ne tient pas compte de la qualité de ce qu’on donne. Donc c’est eux qui financent, montent leurs projets et qui viennent donner ça directement à une télé. Et la télé n’hésite pas. Son problème était de sortir des millions pour produire un film. Maintenant on vient lui dire voila un produit fini que tu diffuse. La plupart du temps les gens ne se soucient de savoir si c’est de la bonne qualité ou pas. Ils mettent. Les producteurs cherchent des sponsors qui paient souvent 60%. Des fois ils ne donnent rien au producteur mais à la télé. Ce qui veut dire aussi que les télés s’adonnent à la facilité, parce qu’elles pensent que c’est la meilleure solution alors que cela les tue. »
Y a-t-il une réglementation de la production de films ?
« Avec les téléfilms nationaux, il faut des maisons de production. Chacun doit avoir son travail mais ici tout le monde produit. Cela est dû tout simplement à une absence de réglementation. Ici chacun fait ce qu’il veut. Quiconque peut se proclamer producteur, réalisateur, comédien ou distributeur. En fait on ne sait plus qui fait quoi. Mais il y a des maisons de production qui ont pour spécialité la production. »
Quelle importance peuvent constituer ces téléfilms ?
« Personnellement j’opte pour les téléfilms nationaux. Parce que d’abord c’est des films qui parlent de nos réalités. Et ce sont des produits qui nous appartiennent. Ils sont construits et consommés  dans notre pays. Aussi, ça va permettre aux jeunes comédiens sénégalais au moins d’acquérir une expérience ou d’avoir du travail. Donc l’argent qu’on va financer va rester ici. On va permettre à de jeunes comédiens de gagner du boulot, en même temps que des jeunes réalisateurs. Et cela va contribuer aussi à enrichir le théâtre sénégalais. Donc ne serait-ce ces raisons, moi j’opte entièrement pour que les produits nationaux soient privilégiés. »
Qu’est-ce qu’il faut faire pour promouvoir ce secteur ?

« Il va falloir aussi que les gens aillent se former sur les plans technique et artistique. Parce qu’on doit respecter le public et on ne doit pas l’offrir n’importe quoi. Il mérite le minimum de qualité possible. C’est un travail qu’on doit respecter. Donc cela veut dire que la production doit être accompagnée. Et  pour cela, il faut une très bonne subvention de la production. Au niveau de l’Etat, il faut avoir une politique culturelle qui permet à ces téléfilms de pouvoir se mesurer à d’autres. » 

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